On n’est pas couchées !

On croit que c’est vraiment fini. Après les trois rappels, la salle s’est rallumée, on a tiré le rideau rouge. Certaines personnes commencent à sortir, en enfilant leur veste ou leur manteau. Et puis, quand même, le chanteur revient saluer une dernière fois, et les applaudissements montent encore d’un ton, public debout, hommage final, et presque en même temps posture de départ résigné.

Alors on sait que c’est un équilibre infime. Le chanteur salue, remercie, les yeux un peu dans le vague. Sa dernière chanson clôturait vraiment la fête, prenait un sens symbolique dans l’économie du spectacle. Une autre (quelle autre ?) pourrait modifier cet ensemble, lui enlever de son unité, de son émotion. On sent qu’il hésite quand même, parce que le claquement des mains a repris à la seconde une vigueur inattendue – peut-être en signe de reproche pour ceux qui renoncent, et remontent déjà les allées. Les « Une autre, une autre ! » ont senti une ouverture, une faiblesse, et se refont mordants, la vague se refuse à refluer. On entend des titres proposés au balcon, un rang de jeunes se met à taper du pied. Une dame entre deux âges accompagnée de deux amies a plié son imper sur son fauteuil. Elle esquisse un geste pour le reprendre, mais à cet instant précis quelque chose se met à flotter. Le chanteur semble interroger un technicien sur le côté, et voilà que le rideau s’ouvre de nouveau. La salle est encore allumée. Maladroitement, la dame replie son imper et le garde à la main. Un petit frémissement de satisfaction parcourt le théâtre, pendant que le chanteur s’en revient lentement vers le micro – mais on a bien compris qu’il fait maintenant seulement semblant d’hésiter sur le titre à interpréter. L’imper de la dame est tout froissé. Elle se rassoit, jubile en faisant mine de maugréer, et se tourne vers ses compagnes : – Eh bien, on n’est pas couchées !